Interview

 

 

 

Autoportrait

peinture sur toile

1986

 

 

Interview  de  Jacques Jacob  par Marie-Sophie Bernard.

 

Cela tenait de la prouesse : interviewer l'artiste solitaire et connu qui s’est taillé un beau succès avec son roman "Le manteau noir". C’est jacques Jacob. Il s’est livré.

   -       J’ai créé chez moi l’île déserte sur laquelle je rêvais de vivre.

        Dans les années soixante, on découvrait les œuvres de Jacques Jacob. Que de chemin parcouru depuis cette époque ! Que d’expositions en Europe et en Amérique ! Nous l’avons vu s’épanouir, s’affirmer, réussir, grisonner et souffrir d’une enfance qu’il voulait oublier.

 Chacun a son idée de Jacques Jacob : excessive dans l’admiration comme dans le rejet.

 Je l’ai rencontré lors d’une exposition en Suisse. Je l’ai revu en Allemagne et en Italie.

 Quand on l’interroge, il vous regarde fixement. Ses yeux vous sondent. Puis il raconte. Son enfance, c’est toute une histoire. Il ne reviendra pas sur ce passé. Il décrit son passage à la vie d’adulte, ses rencontres, l’affirmation de soi, son exigence envers lui-même.

       Il aime l’ivresse de la réussite quand il atteint ses objectifs, mais son amour-propre lui dicte de ne savourer que les victoires pour lesquelles il s’est jeté à corps perdu dans la bataille.

-      J’ai la ténacité du chiendent sans pour autant me faire du mouron.

        Et il ajoute :

-      Un sauvageon en moi refuse d’être greffé.

        Sur quoi il poursuit :

-      Il faut préserver son indépendance pour n’avoir jamais à rêver d’émancipation.

       Il ne courtise quiconque, ne demande jamais de bienveillance. Pas plus qu’il ne demande qu’on tire des sonnettes pour lui. Cet insoumis se fiche de ce que l’on pense de lui. Il affirme tout de go :

-       Mieux vaut être jalousé que plaint, c’est un indice de bonne santé.

         Je lui demande :

-       Qu’est-ce que ça représente pour vous d’être connu ici et au-delà des frontières ?

-       Et quand bien même vous diriez vrai, que voulez-vous que ça me fasse ?

         Je lui dis :

-       Je vous vois comme une abeille infatigable qui fait son miel.

         Il me répond :

-       Je suis simplement déterminé et constant.

        L’homme est un tempérament. Il a un caractère qui ne se laisse pas corseter. Il ne renonce jamais et personne ne lui fait changer de cap. Personne ? Si, une seule : Brigitte, son épouse. Il se tourne vers elle. Il lui sourit gentiment. Elle répond à son sourire. Il y a encore plus de beauté, plus de douceur sur le visage épanoui de cette femme calme quand ses grands yeux gris-bleu, souriants, l’éclairent.

      Puis Jacques Jacob replonge en lui lorsque je lui demande à quoi ressemble son tempérament. Il répond :

 -    Je me lance des défis pour me prouver que je ne faillis pas, que je ne faiblis pas. J’extrais du négatif les ferments du positif.

       Quand je lui parle de notoriété, il se dérobe en précisant que c’est le public qui fait l’artiste. Quand je reviens à la charge, il répond que la notoriété n’est pas un objectif.

        J’enchaîne :

 -     Vous bénéficiez quand même de cette notoriété.

        Un peu agacé, il hausse les épaules et réplique :

-      Mes arrières sont assurés. Je n’attends pas que ça tombe dru dans l’escarcelle. Je suis comme ces pêcheurs qui courent au bout du monde pour voguer sous d’autres cieux.

-      Vous exposez moins.

-      C’est vrai. De plus, je refuse de participer aux salons d’ensemble.

-      Voilà peut-être pourquoi on vous reproche votre isolement.

-      C’est dans mon tempérament de m’isoler… Quoi que l’on fasse, il y a des reproches et des critiques. Les chiens aboient et la caravane passe. Et plus les chiens aboient, plus la caravane se remarque. De toute façon, que les chiens hurlent ou se taisent, la caravane passera quand même.

         Un fin sourire plisse les tempes de Jacques Jacob qui ajoute :

-    Les critiques, c’est comme les orties, l’urtication des premières rend l’épiderme insensible. Pour échapper aux critiques, il faudrait ne rien dire, ne rien faire et n’être rien. Depuis longtemps, je mène ma vie comme bon me semble, sans que rien me perturbe et je me moque royalement de ce que l'on peut penser ou dire de moi.    

         Il hoche doucement la tête en souriant.

         J’enchaîne :

-      Votre roman "Le manteau noir" est devenu un best-seller dans les régions où il a été distribué. Est-ce une réussite comme vous les aimez ?

-        Aucune réussite n’est insipide.

-       Le succès du peintre a-t-il contribué à celui de l’écrivain ?

-        Peut-être, et vice-versa. J’ai reçu beaucoup de courriers de lectrices et de lecteurs.

 -       Pourquoi avez-vous écrit ce roman ?

          Un peu déconcerté, il balbutie :

 -       Pourquoi ? Pourquoi ?

          Puis il ajoute:

 -      Écrire m’a permis d’évacuer. À chacun son truc. Certains évacuent dans l’alcool ou dans la drogue. D’autres s’enferment dans la paranoïa ou se passent la corde au cou. J’avais besoin d’adoucir certaines notes aiguës de ma vie. Et puis, j’ai un autre alibi : le plaisir d’écrire.

-       Avant d’entamer cette interview, vous parliez d’un autre plaisir, celui de la table avec vos amis et vos collaborateurs. Vous évoquiez le chabrot où vous mélangiez du vin au bouillon. Vous évoquiez les fruits de mer, les moules sauce poulette…

-       C’est vrai. J’aurais pu vous parler aussi des plats de Brigitte : la potée de la mer, la cervelle de porc au haché et aux oignons, la blanquette et son gâteau de riz aux champignons, la langue de veau aux câpres, la flamiche, le far aux poires, le clafoutis aux cerises, la rombosse, la tarte aux macarons…

      Jacques Jacob s’interrompt. Un fin sourire glisse de ses yeux et lui effleure les lèvres. 

                                                                                                                                                                                 Marie-Sophie Bernard                  © Tous droits réservés
                                                                                                                                                                                                                                                                        

                                                                                                                                                  

 

 

 

     Extraits d'interviews de Jacques Jacob

 

En peinture, il n’existe ni secret ni inspiration, mais simplement de la disposition d’esprit associé à beaucoup de travail.                                                                    

 

Je suis un battant comme d'autres sont sportifs. Les portes m'intéressent quand elles sont fermées.

 

La chance, c'est de savoir la saisir.

 

Je n'ai rien à prouver à personne, sauf à moi-même.   

 

Pourquoi chercher des personnages de roman dans mon imaginaire puisque j’en rencontre régulièrement ?

    

 Je n’ai aucune honte à étaler ma satisfaction lorsqu’un taureau encorne un torero.

                                                             

Si le bon sens préconise de suivre le troupeau, alors je me suis souvent fourvoyé.

 

Je peins comme je respire.

                                                                

Le corps humain est le sujet le plus beau, le plus difficile et le plus noble à affronter.

 

J’aime l’érotisme dans les œuvres de Boucher, Ingres, Courbet et les "secondes peaux" qui habillent les modèles de Tamara de Lempicka.

 

La femme qu'elle soit timide ou rêveuse, fragile ou arrogante et presque toujours pudique dans ses abandons, demeure mon modèle principal.

 

Je me promène souvent avec un crayon à la main et un pinceau à l'esprit.

 

Les beaux-arts ont toujours été un dosage de présent et de passé puisque les anciens marquent inéluctablement les générations suivantes de créateurs de leur influence. Il n’y a donc pas de genre d’expression périmé.                                                                     

 

Curieux milieux que ces sphères de l’art où des flèches émoussées sifflant dans le dos de certains créateurs doivent être considérées comme des égards.

 

En peinture, il n'existe ni secret ni inspiration, mais simplement de la disposition d'esprit associée à beaucoup de travail.

 

Je n’attends rien des lendemains qui chantent. Je m’accorde à rendre le présent le meilleur possible.

 

A trop malaxer ses soucis, on finit par se fondre dedans.

 

Puisque notre vie n'est pas un pont vers un autre monde, profitons de tout, même à l'excès.

 

J'aime le mystère des brumes qui se dévoilent quand on s'en rapproche, un peu comme une femme qui se fait prude pour se découvrir lentement.      

 

"Toujours" et "jamais", c'est beaucoup trop loin pour moi.

 

Je ne subis pas, je récolte.

 

Quand mes pensées se posent à Québec resurgit la mélancolie du manque lorsque je revois mes petits-fils.

 

Ceux qui, faute de talent, n'ont pu réaliser leurs ambitions artistiques ont généralement la critique impitoyable envers les créateurs.

 

Les maltraitances paternelles m’ont d’abord recroquevillé avant de me pousser à monter sur le ring. Désormais, je ne suis plus de ceux qui tendent l'autre joue.

 

J'apprends la patience, l'attente de demain, l'attente du futur proche ou lointain. J'apprends à écouter le vent, la mer, le feuillage du vieux chêne qui m'abrite du soleil. Et je deviens le gardien de ce qui m'entoure.

 

On se souvient mieux d'un nom si on l'a en travers de la gorge.

 

Je suis rarement où on m'attend.

 

Tout bobard longtemps répété devient une vérité.

 

Les moqueries sont destinées à ceux qui échouent et les jalousies à ceux qui réussissent.

 

Je suis entré à l'école normale par la décision de mon père et je ne suis sorti de l'enseignement que par la force du dégoût.

 

Je déteste les odeurs de sainteté.

 

La beauté d'un nu est dans le regard que porte le peintre sur son modèle.

 

Courir n'est plus de mise dans ma vie. Je savoure le temps de la réflexion, du travail et de la paresse.                                                                                                               

 

J’aime la fidélité du chien, la liberté du loup et le besoin d’évasion de la tortue.      

 

Épicurien ? Oui ! J’aime le margaux, je crois à l’amour, à l’amitié et à l’éternité du néant. Le reste n’est que futilité. 

 

L’œuvre est terminée quand je retrouve un vrai sommeil.

 

 Puisque c'est le public qui fait l'artiste, il a forcément le dernier mot.                                   © Tous droits réservés.